TEXTE
Jamais invention ne rencontra, dès son aurore, intérêt plus général et plus ardent. Le cinéma est encore dans son enfance, je le sais, mais le monde entier lui a fait crédit. Le cinématographe a, dès son début, enflammé les imaginations, rassemblé des capitaux énormes, conquis la collaboration des savants et des foules, fait naître, employé, usé des talents innombrables, variés, surprenants. Il a déjà son martyrologe1 . Il consomme une effarante quantité d'énergie, de courage et d'invention. Tout cela pour un résultat dérisoire. Je donne toute la bibliothèque cinématographique du monde, y compris ce que les gens de métier appellent pompeusement leurs " classiques " pour une pièce de Molière, pour un tableau de Rembrandt, pour une fugue de Bach.
Toutes les oeuvres qui ont tenu quelque place dans ma vie, toutes les oeuvres d'art dont la connaissance a fait de moi un homme, représentaient d'abord une conquête. J'ai dû les aborder de haute lutte après une fervente passion. Il n'y a pas lieu, jusqu'à nouvel ordre, de conquérir l'oeuvre cinématographique. Elle ne soumet notre esprit et notre coeur à nulle épreuve. Elle nous dit tout de suite ce qu'elle sait. Elle est sans mystère, sans détours, sans tréfonds, sans réserves. Elle s'évertue pour nous combler et nous procure toujours une pénible sensation d'inassouvissement. Par nature, elle est mouvement, mais elle nous laisse immobiles, appesantis, comme paralytiques.
Beethoven, Wagner, Baudelaire, Mallarmé, Giorgione, Vinci, - je cite pêle-mêle, j'en appelle six, il y en a cent - voilà vraiment l'art. Pour comprendre l'oeuvre de ces grands hommes, pour en exprimer2, en humer le suc, j'ai fait, je fais toujours des efforts qui m'élèvent au-dessus de moi-même et qui comptent parmi les plus joyeuses victoires de ma vie. Le cinéma m'a parfois diverti, parfois même ému, jamais il ne m'a demandé de me surpasser. Ce n'est pas un art, ce n'est pas l'art.
Georges
Duhamel
Scènes
de la vie future (Mercure de France)
1. Liste de martyrs, d'hommes qui ont souffert, qui sont morts pour une cause, ici celle du cinéma.
2. extraire.
QUESTIONS
I. ETUDE DE TEXTE ( 10 points)
1. Dans le premier paragraphe, l'auteur compare les efforts et l'investissement consentis en faveur du cinéma aux résultats de ces efforts et de cet investissement. A quel constat parvient-il ? Dans quel but fait-il ce constat ?
2. Dans l'ensemble du texte, l'auteur se démarque d'une opinion largement répandue sur le cinéma. Quelle est cette opinion et quel point de vue Duhamel lui oppose-t-il ? Relevez, dans le texte, la phrase qui exprime le mieux ce point de vue.
3. Pour soutenir son point de vue :
a - quel argument G. Duhamel avance-t-il ?
b - à quels arts oppose-t-il le cinéma ?4. A quels procédés d'écriture l'auteur a-t-il recours pour dévaloriser le cinéma, et valoriser, à l'opposé,
les autres arts ? Relevez et identifiez quelques-uns de ces procédés ( trois au moins ).
II. ESSAI ( 1 0 points)
" Le cinéma n'est pas un art ", affirme catégoriquement G. Duhamel.
Partagez-vous son opinion ?
Exprimez un point de vue nuancé sur la question en vous référant, dans le choix de vos arguments et de vos exemples, à votre expérience personnelle dans ce domaine et, éventuellement, à certaines de vos lectures.